Philippe Guillemant

Un univers d'informations

Des réalités parallèles

Un résumé en 20 minutes

Un espace-temps flexible

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UN ESPACE TEMPS FLEXIBLE

L’Espace-temps peut être considéré comme étant la totalité de l’univers, du big-bang jusqu’à notre lointain futur; vue d’un seul regard, à tous les instants du temps.

Il est impossible de se représenter toute l’évolution de l’univers en un seul bloc qui aurait quatre dimensions, trois d’espace et une de temps. Il existe cependant une astuce qui permet d’en avoir une vision correcte. Admettons que l’univers soit tout entier contenu à l’intérieur d’une sphère. Il suffit de remplaçer cette sphère par un disque en passant de trois à deux dimensions et le tout est joué.

On peut alors se représenter l’espace-temps comme un empilage de disques à tous les instants du temps: il serait alors tout entier contenu à l’intérieur d’un cylindre, la longueur du cylindre correspondant au temps. Sur la figure ci-dessous, nous avons représenté ce cylindre d’espace-temps avec un disque central bleu qui correspond à la tranche du présent.

Mais est-il bien correct de représenter ainsi le présent ?

La réponse est non, car la physique a un problème avec le présent à cause des équations de la relativité restreinte d’Einstein. Elles stipulent qu’il n’existe aucun présent qui nous soit commun à tous. Il suffit que deux personnes situées au même endroit se déplacent très vite l’une par rapport à l’autre pour qu’elles ne soient pas d’accord sur le présent. Elles peuvent même être quasi-immobiles l’une par rapport à l’autre mais simplement très éloignées pour ne pas être d’accord non plus. C’est pourquoi Einstein a introduit le modèle de l’univers bloc, ici représenté par un cylindre.

Cette représentation qui inclut tout l’espace-temps, y compris notre futur, a de quoi nous faire envisager la possibilité que notre futur soit déjà réalisé.

Qu’en est-il donc ?

La réponse donnée par les physiciens spécialistes de la relativité d’Einstein est que notre futur existe bel et bien déjà, et ceci pour une raison très simple: il est impossible que la réalité se crée dans le présent car le présent n’existe pas (certains affirment d’ailleurs que le temps lui-même n’existe pas).

C’est évidemment contraire à l’intuition commune qui nous dicte que le futur n’existe pas encore. En ce qui concerne le passé on peut admettre qu’il existe encore dans la mesure où nous l’avons en mémoire et l’on peut être attaché à l’idée que le passé soit figé quelque-part même s’il n’est plus accessible.

En ce qui concerne le futur, que se passe t-il ?

Comme dans la vision d’Einstein le futur est traité comme le passé, il se pourrait fort bien que notre avenir soit déjà tracé et que nous ayons donc un “destin”. Tout serait déjà créé, tout ce que nous allons vivre serait déjà déterminé. L’Espace-Temps étant figé tout comme chacune de nos vies, notre libre arbitre serait illusoire.

Einstein ne croyait pas vraiment à cette hypothèse et c’est pourquoi il a cherché toute sa vie une théorie de grande unification, en vain. Longtemps après sa mort, deux théories de grande unification sont cependant nées: la théorie des cordes et la théorie de la gravité quantique à boucle. Elles réconcilent toutes les deux la relativité et la mécanique quantique en nous apportant des réponses sur ces questions, bien qu’encore incomplètes et incertaines.

La théorie de la gravité quantique à boucles de Carlo Rovelli et Lee Smolin est particulièrement interessante car elle élimine le temps des équations de la physique.

Elle élimine ainsi le problème qui rendait contradictoire le modèle d’espace-temps cylindrique ci-dessus et ouvrant surtout la voie à la possibilité de retrouver notre liberté. En effet, l’espace-temps de cette théorie peut vibrer, or ceci pourrait avoir des conséquences immenses sur tout ce qu’il contient. Malgré le fait que les vibrations de l’espace-temps soient infimes, ce qu’il y a à l’intérieur peut considérablement changer au niveau macroscopique à cause du phénomène des bifurcations bien connu des chaoticiens. Encore appelé effet Papillon ce phénomène implique qu’un “petit rien” peut provoquer de grands effets, des bifurcations, de nouveaux scénarios.

Dans ce qui suit, pour simplifier la représentation, nous traduirons cette possibilité de voir changer le contenu de l’espace-temps par une flexibilité accordée à l’espace-temps cylindrique lui-même.

Maintenant, la question de savoir si un espace-temps qui vibre peut réellement voir son contenu évoluer pose un problème, car cette évolution ne peut plus avoir lieu dans le présent.

Carlo Rovelli semble en être convaincu lorsqu’il écrit :

<< Nous devons apprendre à penser le monde non comme quelque chose qui évolue dans le temps, mais d’une autre façon >>

Quelle pourrait bien être cette autre façon ?

Pour répondre à cette question, j’ai représenté sur l’illustration ci-dessus deux lignes temporelles pouvant représenter une seule vie par exemple, mais avec deux possibilités d’évolution dans le futur.

La question est donc de savoir si l’une peut se transformer en l’autre – durant la même vie – . La réponse que nous proposons est oui, grace à des bifurcations rendues possibles. Ce n’est pas une réponse évidente, car la Gravité Quantique ne fait vibrer l’Espace-Temps qu’à une échelle quantique infinitésimale, totalement indétectable à notre échelle. Mais en déduire que cela ne devrait pas avoir d’action sur le contenu de l’espace-temps serait oublier quelque chose de très important: la sensibilité aux conditions initiales, c’est à dire le chaos !

Nous avons vérifié par le calcul dans nos travaux cités dans “Un univers d’informations” que des modifications infimes à l’échelle quantique peuvent générer un chaos capable de créer à l’échelle macroscopique un nombre considérable de variantes d’évolution. On peut représenter un ensemble de telles variantes par l’illustration dynamique suivante, où l’on constate le changement perpétuel de la forme de dix lignes temporelles qui pourraient correspondre, par exemple, au niveau de vie de dix individus différents:

L’individu de gauche, en rouge, prend alternativement le risque de tout gagner puis de tout perdre et mène finalement une vie où il ne se retrouve jamais dans ces situations. Il s’agit d’illustrer comment une vie personnelle – ou l’univers tout entier – pourraient évoluer partout dans le temps simultanément, c’est à dire dans le futur en même temps que dans le présent, au fur et à mesure que le présent – ici une barre horizontale noire – s’élève.

Est-ce bien raisonnable ? Mathématiquement oui, il suffit pour cela de rajouter une cinquième dimension.

Kaluza et Klein ont été les premiers à proposer une cinquième dimension il y a déjà un siècle et cette idée a reçu les faveurs d’Einstein. Il s’agit d’une dimension enroulée (rotatoire) qui serait extrêmement petite. Pour se l’imaginer il faut visualiser le concept suivant: au lieu d’avancer simplement le long d’une ligne qui parcourt une dimension on tournerait en même temps autour de cette ligne. Il en résulte un degré de liberté supplémentaire qui permet de modifier la suite du parcours, car cette modification ayant changé les conditions de parcours elle pourrait en changer également les choix. C’est ainsi que l’on pourrait retrouver notre libre arbitre. Ce n’est pas un faux espoir, car aujourd’hui une autre théorie de grande unification, la théorie des cordes, nous confirme cette possibilité.

Il faut cependant souligner une insuffisance du modèle dynamique ci-dessus qui, à un instant donné, ne peut décrire que la ligne temporelle la plus probable que nous allons vivre, si l’on prend l’exemple de notre propre vie. Le fait de pouvoir visualiser ainsi un avenir qui change à mesure qu’on progresse vers lui implique en effet nécessairement que la probabilité de vivre réellement cet avenir n’est jamais de 100%, auquel cas notre ligne serait figée. Il faudrait donc ajouter à chaque ligne une multitude de branches qui représentent nos possibilités alternatives et qui pourraient elles aussi bouger à mesure que le temps passe.

Nous allons alors voir que la représentation complémentaire ci-dessous, dessinée sous la forme d’un arbre à branches cylindriques qui pourrait correspondre à notre espace-temps individuel (arbre de vie), fournit également un bon modèle de représentation de l’univers décrit par la seconde théorie de grande unification de la physique: la théorie des cordes.

Les deux branches cylindriques A et B relevées sur cet Arbre de Vénoza peuvent être condidérées comme deux alternatives possibles de notre propre cylindre d’espace-temps personnel, susceptibles de basculer l’une vers l’autre. La flèche est là pour montrer que le basculement de A vers B est susceptible de se faire dans le présent (au pied de l’arbre) et non au moment de la bifurcation (en haut du tronc).

Cet arbre est également une représentation possible de l’un des types d’univers parallèles auquels conduit la théorie des cordes,dans l’une de ses versions où l’on ne toucherait pas aux constantes fondamentales de la physique. Dans ce cas les seules “causes” de basculement possible d’un univers A à un univers B ne sont pas à proprement parler des causes, car dans la théorie des cordes tous les univers décrits sont déterministes. Seul un basculement indéterministe c’est à dire non causal peut se produire. Ce basculement est rendu possible à condition de faire varier des paramètres externes à chaque espace-temps cylindrique 4D et qui font intervenir des dimensions supplémentaires. Or la théorie des cordes en propose sept, et il s’agit à nouveau de dimensions enroulées, que l’on peut se représenter sommairement en imaginant qu’on tord un bout de ficelle ou de tuyau flexible.

Pour comprendre comment un basculement de A à B peut alors être envisagé à l’aide d’une dimension supplémentaire, nous avons fait ci-dessous un récapitulatif des différents types de représentation. A gauche nous sommes revenus sur la représentation cylindrique afin de montrer l’effet d’une rotation ou torsion (flèches violettes en boucles) qui peut être engendrée par une cinquième dimension: la torsion du cylindre flexible provoque un changement de la forme de ce cylindre qui affecte le futur. Si l’on réduit le diamètre de ce cylindre en un “bout de ficelle” ayant l’apparence d’une ligne courbe on peut reproduire les différentes branches de l’arbre de Venoza, représentées en haut et à droite par des couleurs différentes.

Bien qu’à première vue les théories de grande unification que sont la théorie des cordes et la théorie de la gravité quantique à boucles aient l’air d’être incompatibles – ce qui impliquerait normalement que l’une d’elles soit fausse – on s’aperçoit qu’elles peuvent s’harmoniser toutes les deux avec des modèles de représentation complémentaires de l’espace-temps, respectivement statique et dynamique.

La théorie des cordes conserve un espace immobile, représenté ici sous la forme d’un arbre dont chaque branche est un cylindre d’univers, alors que la gravité quantique à boucles fait vibrer l’espace, ce que nous avons représenté abusivement par un tuyau flexible, car les conséquences sur le contenu de l’espace ne sont pas nécessairement trahies.

Au lieu de faire bouger l’espace, la théorie des cordes introduit sept dimensions d’espace supplémentaires et lorsqu’on y regarde de près, on s’aperçoit que c’est une autre manière de faire bouger l’espace qui permet de le conserver intact. Dans un cas vous avez une particule élémentaire, le quark par exemple, qui vibre dans les dimensions spatiales supplémentaires. Dans l’autre cas vous avez la même particule qui vibre également parce que c’est l’espace lui-même qui vibre. Du coup, la théorie qui fait vibrer l’espace n’a pas besoin de rajouter des dimensions spatiales. Mais en revanche, faute de dimensions, elle ne décrit pas totalement la réalité. Elle ne décrit qu’une réalité stochastique, probabiliste.

Lorsque les fluctuations quantiques de l’espace se répercutent à l’échelle macroscopique en se transformant en observations réelles, alors il y a toujours une réduction d’état en une seule réalité qui n’est pas décrite par la théorie. De ce fait le futur décrit par la gravité quantique à boucles est un futur qui contient potentiellement de multiples possibilités, tout comme le futur décrit par la théorie des cordes et qu’on appelle le multivers. Cela ne se voit pas en gravité quantique car il s’agit d’une approche dynamique qui ne décrit pas tout, alors que dans le cas du multivers de la théorie des cordes il s’agit d’une approche statique qui décrit tout, mais il reste trop de degrés de liberté.

Finalement, pour marier les deux théories, il suffit de remarquer que les fluctuations quantiques de la première peuvent très bien être responsables des changements de branche de la seconde:

Le point remarquable est que ces changements de branche sont réellement indéterministes et que cela pose un problème aux physiciens qui ont une conception déterministe de l’univers, étant attachés à une vision purement matérialiste.

Ainsi, un physicien illustre comme Stephen Hawking ne fait pas du tout ce rapprochement et semble même totalement ignorer la gravité quantique à boucles. Il prétend que nous ne vivons que dans une seule branche du multivers afin de préserver sa vision déterministe, alors qu’il n’y a aucune preuve à cela. On peut même considérer l’existence de la gravité quantique à boucles comme une preuve du contraire. Il y a en fait 10 à la puissance 500 possibilités de faire varier les vibrations des cordes, or vivre dans une seule branche du multivers impliquerait que cette vibration soit toujours la même, ce qui est arbitraire. Si l’on considère la théorie des boucles, les fluctuations quantiques peuvent nous faire changer de futur de manière totalement aléatoire, ce qui signifie que le hasard peut nous faire changer de branche. Pour concilier les deux théories, il est donc nécessaire de rejeter l’idée d’Hawking qui prétend que nous ne vivons que dans une seule branche du multivers, bien qu’il en existe des myriades d’autres. Sans quoi, il faudrait en déduire que chacun d’entre nous aurait des milliards de milliards de vies conscientes dans des univers parallèles !

Revenons en maintenant à des choses plus proches de notre vie quotidienne, en considérant notre cylindre flexible personnel d’espace-temps où tout se passe comme si nous avançions dans le temps à l’intérieur d’un tunnel invisible, illustré ci-dessous. Soyons attentifs à ce qui se passe lorsque notre futur bifurque d’un seul coup.

Si par exemple vous prenez un chemin inhabituel pour aller à votre rendez vous habituel, vous pouvez faire la rencontre de votre vie et votre existence peut alors basculer. Mais on ne sait pas exactement quand elle a vraiment basculé car cela a pu avoir lieu bien avant. Si par exemple un jour dans le passé, un de vos amis vous a dit que vous devriez bousculer un peu vos habitudes, cela a pu provoquer une prise de conscience chez vous qui s’est traduit par un changement d’état d’esprit. Le résultat est que lorsque l’occasion s’est présentée vous avez automatiquement pris la bifurcation. Donc votre vie n’a pas basculé le jour de la rencontre mais bien avant, le jour de votre prise de conscience.

Regardons donc maintenant ce qui se passe ce jour là, alors que vous vous avancez vers le futur 1 qui répète un scénario habituel: votre nouvel état d’esprit modifie votre comportement dans le futur en le faisant basculer vers un nouveau futur 2: celui de cette rencontre fatidique.

On peut alors relier le paramètre de torsion qui déplace le tunnel de vie dans une dimension supplémentaire à un nouvel état d’esprit. Celui-ci rend possible un nouveau scénario probable (futur 2) qui n’aurait pas pu voir le jour avec l’ancien état d’esprit.

Compte tenu de l’indéterminisme résiduel qui règne entre le présent et ce futur 2, ce nouveau scénario se déploie de façon non causale, c’est à dire sans être relié au présent de façon rigide.

Ceci est le point clé: il s’agit d’un réarrangement des probabilités de lignes temporelles qui a rendu possible le futur 2 par un nouvel état d’esprit, rien ne pouvant se préparer qui n’ait aucune chance d’être vécu. Dans ces conditions, il convient de considérer ce futur 2 comme étant une source potentielle de restabilisation, un nouvel attracteur. Tout se passe alors comme si sa présence agissait de façon rétrocausale, ce qu’illustre le graphe ci-dessous où le temps est horizontal: la flèche verte indique le basculement au point de rencontre. On remarque qu’il devient impossible que le passé qui précède ce point de rencontre ne change pas, sinon cela provoquerait une cassure dans l’espace-temps. On ne peut pas en effet grossir les probabilités de passage en un point de l’espace-temps sans renforcer simultanément les probabilités du parcours qui mène à ce point, pour respecter la causalité.

Rappelons que la rétrocausalité est compatible avec les équations de base de la physique et qu’elle est indissociable de la causalité – l’une ne va pas sans l’autre – dans une optique relativiste où le temps est déjà déployé et où la réalité ne se crée donc pas dans le présent. Thibault Damour, un grand spécialiste de la relativité, nous confirme d’ailleurs que la relativité admet la rétrocausalité et que le temps est parfaitement réversible.

La seule ennemie de la rétrocausalité est en fait le principe d’irréversibilité qui tend à vouloir séparer ces deux sœurs jumelles. Ce principe est toutefois contesté pour son caractère emprique et incompatible avec certaines observations relatives au big-bang (voir « le dogme de l’irréversibilité » ).

En conclusion, rappelons que le modèle du cylindre flexible reste une vision incomplète de l’espace-temps qui ne tient pas compte de la nature essentiellement probabiliste – et probablement quantique – des informations qui composent le futur en réarrangement perpétuel. Il s’agit toutefois d’une vision du futur beaucoup plus élaborée que la vision naïve que nous impose le modèle déterministe pour lequel ce cylindre serait figé. En ce sens on peut la considérer comme une étape intermédiaire entre ce vieux modèle d’espace-temps 4D et un modèle beaucoup plus réaliste mais encore hors de portée, mais dont les mots clés seraient certainement: probabilité et information, l’une n’allant pas sans l’autre.

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