Philippe Guillemant

Ce qu'en disent les physiciens

Peut-on changer le passé ?

Le dogme de l'irréversibilité

Le futur influence-t-il le présent ?t

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LE FUTUR INFLUENCE T-IL LE PRÉSENT ?

L’idée selon laquelle le futur pourrait influencer le présent a été popularisée en physique en 2010, après que deux physiciens réputés “mainstream”: Holger B. Nielsen, de l’Institut Niels Bohr de l’Université de Copenhage (Danemark), et Masao Ninomiya, de l’Université de Kyoto (Japon), aient publié une séries d’articles commentés par le “New-York Times” et d’autres journaux comme “Le Monde” (voir ci-dessous).

Un an après, en 2011, le professeur Scott Aaronson du Massachusetts Institute of Technology (MIT) a fait une conférence reprise dans un article de la fameuse revue “Scientific American” où il a développé l’idée que nos choix d’aujourd’hui pourraient influencer l’univers à son origine.

Les premières expériences portant sur ce concept tabou – car impliquant la rétrocausalité – n’ont alors pas tardé:

En 2012, le professeur Anton Zeilinger et son équipe ont réalisé une expérience de mécanique quantique qui imite une étrange action dans le passé et dont les résultats ont été publiés par la revue “Nature”. Peu après, la même année, une équipe israélienne de physiciens a réalisé une nouvelle expérience suggérant qu’il n’est pas absurde de poser la question suivante:

Un choix futur peut-il influencer le résultat d’une mesure ?

Avant de revenir sur ces différentes expériences et publications, il convient de savoir que la physique répond favorablement à l’idée selon laquelle l’univers serait déjà réalisé dans le futur, tout comme il l’est également dans toutes ses étendues d’espace. C’est en effet une conséquence de la Théorie de la Relativité. On sait en effet depuis cette théorie, qui a été parfaitement vérifiée expérimentalement, que si pour un référentiel donné deux évènements sont simultanés, pour un autre référentiel ils peuvent tout à fait être décalés dans le temps.

Pour bien en comprendre les conséquences, supposons que depuis un nouveau référentiel où nous nous trouvons, le premier évènement survienne avant le second.

Alors cela veut dire qu’au moment où nous observons le premier évènement, par définition le moment présent où nous sommes en train d’attendre l’arrivée du second évènement, nous savons qu’il existe un autre référentiel pour lequel ce qu’on attend, qui fait donc partie de notre futur, vient d’avoir lieu.

Il existe donc des référentiels pour lesquels ce que nous avons à vivre est considéré comme faisant partie du passé. En revanche, il reste impossible selon la théorie de la relativité, d’exploiter cette situation pour connaître d’avance ce que nous avons à vivre. On se heurterait alors au barrage de la vitesse de la lumière (ou cône de lumière à l’intérieur duquel la causalité reste conservée) puisque l’interdiction de dépasser cette vitesse permet de ne pas observer les effets avant les causes. Cependant le fait de ne pas pouvoir observer (et encore moins influer) sur quelque chose, n’implique pas que cette chose n’existe pas déjà.

Je reviens maintenant ci-dessous sur les 3 faits marquants des années 2010, 2011 et 2012 qui ont fait entrer dans les esprits des physiciens l’idée que le futur pourrait influencer le présent, ou encore que le présent pourrait influencer le passé:

2010: L’oiseau qui n’a pas réussi à empécher la découverte du boson de Higgs:

D’après les deux physiciens cités précédemment (Nielsen et Ninomiya), le futur, sans nécessairement être totalement réalisé, pourrait l’être suffisamment pour contenir des “conditions finales”. Lesquelles seraient obligatoirement à prendre en compte dans les modèles physiques permettant de faire des prévisions sur le comportement des particules élémentaires.

De telles conditions finales, qui jouent un rôle strictement identique à des conditions initiales mais en remontant le temps, pourraient alors interdire certains scénarios que les physiciens s’évertuent à provoquer par des collisions de particules dans les grands accélérateurs.

D’après nos deux physiciens, ceci pourrait expliquer les étranges pannes qui ont retardé la mise en service du plus grand accélérateur du monde, le LHC (Large Hadron Collider). Devant le caractère assez extravagant de leur hypothèse, on peut se demander si ces physiciens ne se sont pas servi de ces pannes du LHC comme prétexte pour faire passer de façon très remarquée une publication qu’il aurait été difficile d’imposer autrement, c’est à dire sans autre preuve expérimentale.

S’il est probable que l’influence du futur sur le présent n’est pas la bonne explication aux pannes du LHC, il n’en reste pas moins que cette hypothèse de Nielsen et Ninomiya est aujourd’hui accueillie par la communauté scientifique comme une théorie respectable. Il faut savoir que les physiciens sont depuis longtemps habitués aux conséquences très étranges de la mécanique quantique, au point de les conduire à ce genre de boutade:

Nous sommes tous d’accord que votre théorie est folle. La question qui nous divise est de savoir si elle est suffisamment folle pour avoir une chance d’être correcte.

(Réflexion d’un collègue de Nielsen à l’Institut Niels Bohr):

Voir cet article du monde: Le LHC, l’oiseau et le morceau de pain

et celui du New-York Times: The Collider, the Particle and a Theory About Fate

2011: Comment nos choix d’aujourd’hui peuvent-ils affecter l’univers à son origine ?

La fameuse revue scientifique “Scientific American” a publié un article en 2011 dans lequel il est envisagé que les physiciens ne se sont pas encore vraiment confrontés avec les implications de la rétrocausalité. Souvent considérée comme une “idée folle”,elle pourrait néanmoins expliquer certains mystères de la mécanique quantique.

Cet article reprend les propos d’une conférence donnée par le Professeur Scott Aaronson du MIT dans un congrès scientifique sur la nature du temps “Setting Time Aright” qui a eu lieu à Copenhague fin aout et début septembre 2011: Free Will and Quantum Clones: How Your Choices Today Affect the Universe at its Origin ?

En français: Libre arbitre et clones quantiques: comment vos choix d’aujourd’hui affectent-ils l’univers à son origine ?

Voici quelques extraits de cet article traduits par mes soins:

Dès le début de sa conférence, Scott Aaronson prévient son auditoire:

<<“cela sera le discours le plus fou que j’ai jamais prononcé !

…………Une énorme quantité de possibilités peut avoir conduit à l’univers que nous voyons aujourd’hui. Mais les décisions que vous prenez résolvent une partie de cette incertitude. Elles agissent comme une mesure parmi ces incommensurables possibilités.

Cependant dans un univers déterministe, cela n’est pas une raison pour dire qu’un état initial à causé la décision. Il est, de façon égale, valide de dire que la décision à causé un état initial. Après tout, la physique est réversible. Ce que le déterminisme veut dire c’est que l’état à un instant implique les états à tous les autres instants. Cela ne privilégie aucun état par rapport aux autres. Ainsi vos décisions, dans un sens très réel, créent les conditions initiales de l’univers. >>

Cette causalité rétrograde, ou rétrocausalité, était l’aspect “fou” de la conférence de Aaronson.

Sauf qu’il n’y a rien de fou à ce sujet. Il s’agit d’un concept que la théorie de la relativité d’Einstein rend possible.

La relativité a convaincu la plupart des physiciens que nous vivons dans un “univers bloc” dans lequel le passé, le présent et le futur sont également réels. Dans ce cas, il n’y a plus de raison évidente qui impose de supposer que le passé influence le futur et non l’inverse. Quoique leurs théories se heurtent à la rétrocausalité, les physiciens ne se sont pas encore complètement confrontés avec ses implications. Cela pourrait expliquer bien des mystères de la mécanique quantique.

2012: Des actions futures peuvent-elles influencer des évènements passés ?

Une expérience de mécanique quantique réalisée par des physiciens de l’équipe de Anton Zeilinger en Autriche (connu pour ses travaux sur la téléportation quantique) a réussi en 2012 à imiter une étrange action dans le passé…

Motivés par la question de savoir quelles sortes d’interactions et processus physiques sont nécessaires pour produire une intrication quantique (intrication = superposition d’états multiples), ces physiciens ont décidé de tester l’idée folle d’une intrication qui pourrait être produite à posteriori, après que les particules intriquées aient été mesurées et aient même pu disparaître. Ils ont alors réalisé une expérience aux résultats surprenants qui ont fait réapparaître une fois de plus le “fantôme” de la rétrocausalité:

Quantum physics mimics spooky action into the past

Ses résultats ont été publiés dans la revue Nature:

Experimental delayed-choice entanglement swapping

Je vous traduit ici deux extraits des commentaires du premier article où sont rapportés les propos des deux principaux physiciens de l’équipe:

Deux paires de photons intriqués sont produites et l’un des photons de chaque paire est envoyé à une tierce partie nommée Victor. Des deux photons restants, l’un est envoyé à Alice et l’autre est envoyé à Bob. Victor peut maintenant choisir entre deux sortes de mesures. S’il décide de mesurer ses deux photons de telle sorte qu’ils soient forcés de rester intriqués, alors la paire de photons d’Alice et Bob devient intriquée. Si Victor choisit de mesurer ses particules individuellement, alors la paire de photons d’Alice et Bob termine dans un état séparé (non intriqué).

La technologie moderne d’optique quantique a permis à l’équipe de physiciens de délayer le choix de Victor et sa mesure tout en respectant les mesures qu’Alice et Bob font sur leurs photons. “Nous avons trouvé que quelque soit l’état des photons mesurés par Alice et Bob, qu’il soit intriqué et donc montrant des corrélations quantiques ou au contraire séparé, cet état peut être décidé après que ces mesures soient effectuées“, explique Xiao-song- Ma, le responsable en chef de l’étude.

Selon l’expression fameuse d’Einstein, les effets de l’intrication quantique apparaissent comme une “étrange action à distance”. Cette expérience récente a fait un pas supplémentaire remarquable. “Dans une vision classique naïve du monde, la mécanique quantique peut même imiter une influence d’actions futures sur des évènements passés“, déclare Anton Zeilinger.

J’ai alors cherché à savoir comment cette expérience était commentée en France, et j’ai trouvé cet article de Laurent Sacco dans Futura Sciences:

Un tour de magie quantique dans le passé avec des photons intriqués ?

Il est amusant de constater que ce journaliste scientifique français de talent (dont j’apprécie les écrits), ait décidé de réinterpréter bizarrement l’information concernant ce résultat de recherche en disant tout à fait autre chose que ses auteurs, comme s’il s’était investi de l’habit académique spécifiquement français qui veut à tout prix nous empécher de faire des fautes d’interprétation:

<<Une nouvelle expérience de mécanique quantique, du type choix retardé, dans laquelle intervient la fameuse intrication entre particules, pourrait s’interpréter, à première vue, comme une influence du futur sur le passé. Il n’en est rien, même si elle montre tout de même qu’en physique quantique, l’ordre spatiotemporel des phénomènes n’est pas trivial.>>

Observez le brusque passage du coté affirmatif: “Il n’en est rien” au coté interrogatif: “L’ordre spatiotemporel des phénomènes n’est pas trivial” ? Ma foi… J’ai cherché dans son article la raison pour laquelle il ne faudrait pas selon lui parler d’une influence du futur sur le passé… je ne l’ai pas trouvé. Au contraire, Laurent Sacco confirme à la fin de son article que:

<<La magie quantique a bel et bien été au rendez-vous et des corrélations inexplicables en physique classique ont été observées par Zeilinger et ses collègues. >>

Parler de “magie quantique” serait-il plus convenable que de prononcer le mot de “rétrocausalité”… Quoi qu’il en soit, là où Sacco a raison, c’est qu’il ne faut pas, en toute rigueur, s’acharner à interpréter un résultat d’expérience de mécanique quantique avec une vision classique du monde, devenue aujourd’hui trop naïve, une vision qui s’attaque en tout premier lieu… à la CAUSALITÉ.

La conclusion que l’on peut tirer de tous ces articles et expériences est que la causalité est aujourd’hui largement remise en question en physique.